Boris Vian, grand admirateur de
Gouffé, cite la recette du Pâté Chaud d’Anguille, qui figure dans l’Écume des
Jours. Le genre de recette qu’on ne trouverait nulle part ailleurs… Je vous
avoue que je ne l’ai pas encore essayé, elle est compliquée et je cherche toujours des invitées qui
accepteront d’y gouter. En attendant il me semblait important de vous la faire partager étant donné son originalité.
« Ce sera bon ? demanda Colin.
– Monsieur peut en être sûr, affirma Nicolas. La dinde était parfaitement calibrée.
– Quelle entrée avez-vous préparée ?
– Mon Dieu, dit Nicolas, pour une fois, je n’ai rien innové. Je me suis
borné à plagier Gouffé.
– Vous eussiez pu choisir un plus mauvais maître ! remarqua Colin. Et quelle
partie de son œuvre allez-vous reproduire ?
– Il en est question à la page 638 de son Livre de Cuisine. Je vais
lire à Monsieur le passage en question. »
Colin s’assit sur un tabouret au siège capitonné de caoutchouc alvéolé, sous
une soie huilée assortie à la couleur des murs, et Nicolas commença en ces
termes :
« – Faites une croûte de
pâté chaud comme pour une entrée. Préparez une grosse anguille que vous
couperez en tronçons de trois centimètres. Mettez les tronçons d’anguille dans
une casserole, avec vin blanc, sel et poivre, oignons en lames, persil en
branches, thym et laurier et une petite pointe d’ail. »
« Je n’ai pas pu l’aiguiser comme j’aurais voulu, dit Nicolas,
la meule est trop usée.
– Je la ferai changer », dit Colin.
Nicolas continua :
« – Faites cuire. Retirez
l’anguille de la casserole et remettez-la dans un plat à sauter. Passez la
cuisson au tamis de soie, ajoutez de l’espagnole et faites réduire jusqu’à ce
que la sauce masque la cuillère. Passez à l’étamine, couvrez l’anguille de
sauce et faites bouillir pendant deux minutes. Dressez l’anguille dans le pâté.
Formez un cordon de champignons tournés sur le bord de la croûte, mettez un
bouquet de laitances de carpes au milieu. Saucez avec la partie de la sauce que
vous avez réservée. »
– D’accord, approuva Colin. Je pense que Chick aimerait ça.
Boris Vian, L’Ecume des Jours, Chapitre 1